On ne peut pas dire que La Quille était béni des Dieux. Depuis ce stupide accident où il avait perdu une bonne demi-jambe, il n’avait que 11 printemps, jeune à l’époque, rien n’allait plus.
Depuis toujours, il rêvait d’être un pirate, un capitaine, respecté et craint, juste et implacable. Ce rêve est toujours resté la seule chose qui lui appartenait vraiment.
Dans le but de se rapprocher de la piraterie, il avait tout fait dans les métiers ingrats : De cireur de bottes à éplucheur de navets, de souffre-douleur à docker esclave et même chasseur et revendeur de rats du port !
Il eut une chance une fois : le vieux Graham l’avait pris en pitié et enrôlé comme marmiton.
Car « Gros Nez », on le surnommait ainsi pour son appendice nasal lui permettant de fumer la pipe même sous la plus terrible des tempêtes, n’était rien de moins que le Maître Coq du légendaire Capitaine Roberts. Et quiconque naviguait sous l’étendard du « Véloce » se voyait systématiquement gratifié d’une solide réputation !
De par son instinct de survie, La Quille était devenu quelqu’un de prévenant, anticipant allégrement les demandes des autres, ce qui lui permettait de maintenir sûreté à son égard et discrétion (en un mot, pour lui, la survie).
C’était une chance inespérée de travailler sur ce bateau. Il avait mis tout son cœur à l’ouvrage et n’avait jamais baissé les bras ni rechigner au moindre effort. Toujours est-il qu’à la mort de Gros Nez, La Quille devint à son tour Maître Coq. Avec le temps, il faisait aussi office de barbier du capitaine et de chirurgien de bord.
C’était une ère très faste pour les pirates et autres flibustiers, et surtout pour le Véloce. Les rapines étaient importantes, les prises juteuses, les pertes minimes et la réputation croissante. C’était une évidence, il y avait bien quelque part une divinité pour eux !!
Sauf que le flair de Roberts faillit… Une fois… Une seule fois...
Le galion était prometteur et la ligne de flottaison montrait un chargement à en donner le tournis. Aucune escorte et pas d’armement apparent. De plus, la manœuvre d’approche, couverte par les brumes matinales, s’était on ne peut mieux exécutée.
La nasse se referma sur le pavillon noir : De nombreuses corvettes militaires apparurent au loin et en quelques minutes, tout était perdu.
Avec l’énergie du désespoir, Roberts dirigea le repli avec une telle maîtrise et une telle finesse qu’il eut sans doute donné quelques leçons aux autres capitaines présents. C’est sans doute dans ces moments que le quartier-maître Olsen, que les crabes le farcissent, tomba.
Le Véloce parvint à s’extirper de l’immonde piège poursuivit par les navires armés. Les escarmouches durèrent des heures et des heures, jusqu’au crépuscule, à vrai dire.
Ils étaient sauvés mais tristes. Le Fameux Roberts avait failli et le payait de plomb dans le rable. Son sort en était jeté.
Les survivants accostèrent sur une petite île méridionale. Il fallait bien se ravitailler en eau potable et en victuailles.
Mais surtout, ils devaient élire le nouveau chef d’équipage. Il y eut bien quelques volontaires mais aucun ne sut convaincre suffisamment pour être désigné par ses comparses.
Ils appliquèrent donc la tradition : Retourner mouiller au port habituel et trouver sur place quelqu’un pouvant faire l’affaire. Et pendant la traversée du retour, c’était celui ayant le plus au statut qui dirigerait. Le capitaine et le quartier-maître étant à la baille en train de compter fleurette aux sirènes, il ne restait que le Maître Coq…
Evidemment, au retour, ils retombèrent par hasard sur le galion cette fois sans protection. Et sans peine le capturèrent, malgré l’inexpérience évidente de La Quille.
Comme quoi on peut devenir un capitaine très réputé seulement car le destin en a décidé ainsi.
Mais c’est sur, il y a un Dieu pour les pirates…
P.S : Ca m'a tellement plu de vous lire que ca m'a inspire. Je me suis donc permis d'ecrire moi aussi.